Pierre Restany
Paris, 2-7 mai 1991
Peintre, photographe, sculpteur, Catherine Ikam a axé d’emblée son grand jeu de l’image-vidéo sur le concept central de simulation. Simulation du réel : l’image de l’objet que nous offre l’artiste n’est pas celle de sa représentation, mais bien celle de présentation simulée, à la fois dans l’espace et dans le temps... Catherine Ikam a fait une entrée fulgurante en ce domaine en exposant à Paris en janvier-mars 1980 au centre Pompidou son Dispositif pour un parcours vidéo. Cette installation complexe, spectaculaire dans la sobre efficacité de ses temps retardés, prend aujourd’hui, à onze ans de distance, la valeur d’un manifeste de la vidéo-esthétique ikamienne. Le « dispositif » apparaît en effet à un moment décisif de l’art vidéo et de son histoire, encore brève puisque tout à commencé à NewYork en 1965 avec les premières utilisations du port-a-pak (vidéo-caméra portative) par Nam June Paik. Face au problème structurel de l’image électronique, du temps et du mouvement, les premières tentatives de solutions plus élaborées se font jour, vite regroupées en genres annexes et parallèles : la vidéo-performance, la vidéo-installation, la vidéo- sculpture. Catherine Ikam s’inscrit au cœur de ce courant évolutif et y occupe d’emblée une place à part, du fait même du radicalisme de ses options. Dans toutes ses interventions sur le medium vidéo, elle joue avec l’image électronique à l’encontre de sa fonction. La fonction de l’image vidéo, c’est le mouvement continu ; le jeu, c’est l’arrêt, la rupture ou la fixation, l’analyse et la fragmentation, l’éclatement ou le décalage dans l’espace-temps. L’image ikamienne est soumise à un pari constant sur le hasard délibéré de sa programmation, ce parti-pris originel est fondamental. Étant donné de telles prémisses, quoi d’étonnant dans le fait que le Dispositif pour un parcours vidéo (1) du Centre Pompidou en 1980 ait été conçu comme un labyrinthe, c’est-à-dire – selon les paroles mêmes que Catherine emploiera sept ans plus tard à propos de Valis – à la fois un piège et un chemin initiatique ? Le « dispositif » qui sera repris plusieurs fois par la suite dans différents lieux d’expositions (Charleroi, 1982 ; La Villette, Paris et Moma New York, 1983 ; Cavs, Mit, Cambridge Mass, 1985), consiste en un parcours-piège divisé en 3 stades : Identité I – présence/absence ; Identité II – illusion ; Identité III – dé-structuration. Le spectateur en quête de son identité traverse un couloir d’entrée dont le fond est bouché par un téléviseur qui lui renvoie sur bande pré-enregistrée le décor ambiant vide de sa présence. Son image intégrale multipliée et répétée, il la retrouvera en temps retardé au second stade du parcours, sur une batterie de 7 moniteurs.Troisième stade : l’image, déstructurée et fragmentée éclate sur neuf écrans différents disposés en jonchée libre. On imagine aisément la progression au stade de la conscience individuelle, chocs, effets-surprises, frustrations conséquentes : la présence de l’absence, l’illusoire saturation de la présence dans le temps révolu, et enfin son éclatement partiel dans l’espace-temps de la perception. Et comme la somme des parties n’équivaut pas au tout, le parcours-piège débouche sur une sculpture qui (0) catherine ikam – louis fléri (1) Le Dispositif pour un parcours vidéo n’a été présenté sous sa forme intégrale (Identité I, II, III + Fragments d’un archétype) qu’au Centre Pompidou à Paris, du 25 janvier au 3 mars 1980. Toutes les autres présentations ont été partielles, portant soit sur Identité I, II III, soit sur Fragments d’un archétype. La présentation « d’Identité » en 1985 au Center for Advanced Visual Studies (CAVS) du Massachusetts Institute of Technology (MIT) a été accompagnée d’un vidéo-laser. (2) « Catherine Ikam », catalogue du Centre Georges Pompidou Paris 1980. L’exposition Ikam a été organisée par Alain Sayag avec le concours de Hamid Hamidi et du service audio-visuel du centre. (3) En 1985 Catherine Ikam a été invitée au Center for Advanced Visual Studies du Massachusetts Institute of Technology à Cambridge (Mass.), comme research fellow, par son directeur, Otto Piene est supposée offrir la clé du code, mais là aussi il s’agit d’un leurre. La vidéo-sculpture Fragments d’un archétype porte bien son nom. Fondée sur la référence à l’homme de Léonard, elle en positionne divers fragments projetés sur 16 moniteurs répartis sur une structure métallique carrée de 3,20 x 3,20 m et un fond de tôle noire mate. Le tout est entouré d’un cercle de néon de 4 m de diamètre. La simulation conduite à son comble laisse entrevoir la dimension initiatique du parcours. L’exercice de sensibilité perceptive constitue un parfait modèle heideggerien de l’expérience vitale, du « da-sein », de « l’être-là ». Lorsque le spectateur réalise l’essence même du jeu, le parcours existentiel débouche sur la conscience ontologique : « il est là », à travers l’alternance dialectique absence-présence, tout-parties de son image. ...En ce jour de janvier 1980, le “ dispositif ” a pris d’un seul coup sa pleine valeur d’alchimie du langage. Il a été présenté plusieurs fois ailleurs sans la sculpture. Les Fragments d’un archétype ont fait, quant à eux, l’objet d’installations séparées en 1988, à Paris (musée des Sciences et de l’industrie de La Villette) et à Montréal (Images du futur) et, en 1989, à Nagoya (Artec) et à l’Arche de la Défense. Si le “ dispositif ” est l’un des événements marquants qui annoncent la seconde vague de l’art vidéo, il constitue à plus forte raison le moment décisif de l’œuvre de Catherine Ikam. Le profil de la personnalité de Catherine Ikam se définit d’emblée avec une grande acuité. À peine entrée dans le domaine vidéographique, à la fin 1980, elle affirme sa maîtrise d’une méthode, et du discours sur cette méthode. La simulation du réel est l’objet de la méthode et du discours, et la vidéaste-simulatrice définit elle-même les règles du jeu, de son grand jeu de la vidéo.
Extraits de Catherine Ikam, Éditions Adrien Maeght, 1991
Pierre Restany
Paris 2-7 may 1991
Painter, photographer and sculptress, Catherine Ikam lost no time in centering her great video- image game on the concept of simulation. In her simulation of reality, the image of the object offered by the artist is not that of its representation, but that of is simulated presentation, at once in space and in time. Catherine Ikam made a brilliant entry into this domain when, in Paris in January-Marc 1980 at the Pompidou Centre, she exhibited her “Device for a video route”.Today – eleven years later – that complex installation, spectacular in the sober efficacy of its delayed times, has acquired the value of a manifesto of Ikam’s video-aesthetics. The “Device” in effect appeared at a decisive point in video art and in its still brief history, since it had all begun in NewYork in 1965 with the first uses of the Port-a-pak (portable video-camera) made by Nam June Paik. of the earth...Confronting the structural problem of the electronic image, of time and movement, the first attempts at more elaborate solutions came to light and were quickly grouped into annexed and parallel families: video-performance, video-installation, video-sculpture. Catherine Ikam moved straight to the quick of this evolutive movement. In it she at once occupied a place apart, by the very radicalism of her options. In all her works on the video- medium, she played with the electronic image in opposition to its function. The function of the video-image is continuous movement. The game is the stopping, the break or fixation, the analysis and fragmentation, the bursting or displacement into space-time. Ikam’s images are subjected to a constant gamble against the deliberate chance of its programming.This original stance is the keynote. The “Device”, which was resumed several times in subsequent exhibitions (Charleroi, 1982 ; La Villette, Paris et Moma New York, 1983 ; Cavs, Mit, Cambridge Mass, 1985), consisted in a route- trap divided into three stages: Identity I – Presence/Absence; Identity II – Illusion; Identity III – Destructuring.The spectator in search of his identity crosses from the side an entrance corridor the end of which is blocked by a television set.The set flashes back at him on a pre-recorded tape the empty surrounding decor of his presence. The visitor’s integral image, multiplied and repeated, is then encountered again, in delayed time, at the second stage of the route, on a battery of seven monitors.Third stage: the destructured and fragmented image flickers across eleven different, freely scattered screens. One easily imagines the progression to the stage of individual consciousness, shocks, surprise- effects and consequent frustations: the presence of absence, the illusory saturation of presence in time completed, and finally, its partial bursting into th espace-time of perception. And since the sum of the parts is not equivalent to the whole, the route-trap develops into a sculpture which is supposed to offer the key to the code. But this again is a decoy.The video-sculpture Fragments d’un archétype carries its name well. Based on the reference to Leonardo’s man, (2) catherine ikam – louis fléri (1) The Device for a video route course was only presented in its integral form (Identity I, II, III + Fragments of an archetype) at the Pompidou Centre in Paris from 23 January to 3 March 1980. All the other presentations have been partial, bearing either both on Identity I, II III or on Fragments of an Archetype. The presentation of Identity in 1985, at the Center for Advanced Visual Studies (CAVS) in the Massachusetts Institute of Technology (MIT), was accompanied by a video-laser. (2) « Catherine Ikam » catalogue of the Centre Georges Pompidou Paris 1980. The Ikam show was organized by Alain Sayag with the assistance of Hamid Hamidi and the Centre’s audiovisual service. (3) In 1985 Catherine Ikam was invited to the Center for Advanced Visual Studies in the Massachusetts Institute ofTechnology in Cambridge (Mass.), as Research Fellow, by its Director, Otto Piene. it positions different fragments projected onto sixteen monitors spread over a square metal structure measuring 3.2 x 3.2 metres and a dull back sheet-metal ground.The whole thing is surrounded by e neon circle with a 4-metre diameter.Through the simulation carried to its limit can be glimpsed the route’s initiatic dimension.The exercise of perceptive sensibility constitutes a perfect Heideggerian model of vital experience, of “da-sein” and of “being-there”. When the spectator realizes the actual essence of the game, the existential route leads to an ontological consciousness: “It is there”, through the dialectic alternation of absence and presence, the wholeparts of its image. On that day of January 1980, the “Device” assumed at one go its full significance as alchemy of language. It has been shown several times elsewhere, without tue sculpture. Meanwhile the Fragments d’un archétype were the object of separate installations in 1988, in Paris (Musée des Sciences et Techniques de La Villette) and in Montreal (Images of the Future), and in 1989 at Nagoya (Artec) and at the Arche de La Défense. If the“Device”was one of the outstanding events ushering in the second wave of video art,with all the more reason it marked the decisive point in the work of Catherine Ikam. The profile of Catherine Ikam’s personality was defined vividly and straight away.As soon as she entered the videographic world at the end of 1980, she established her command of a method, and of her discourse upon that method.The simulation of reality was the object of method and of discourse, and the video-film-maker-simulator herself defined the rules of the game, of her great video game. extraits de Catherine Ikam, Éditions Adrien Maeght, 1991